Les fragments sont des îles. Invitation au voyage fragmentaire. Les fragments sont des gouttes de labeur distillées. Lectures parallèles, revanche du non fini, cousins germains du brouillon. Se donner le pouvoir de ne pas entrer dans la structure. Liberté de disposer de son fragment. Liberté de « mise en relation de points », sachant que la cohérence se construira ailleurs, d’elle-même, dans les creux et les pleins.
Animer un atelier d’écriture. Faire de l’écriture un bien partagé. Odette et Michel NEUMAYER. esf éditeur.
INITIALE V
Vers 18 heures, je pris un livre sur l’étagère du salon.
Veillant à m’installer confortablement, je calai mes oreillers et réglai la lumière.
Vedette hypnotisante, l’héroïne de l’histoire vagabondait dans des situations plus extraordinaires les unes que les autres.
Vint le jour suivant, voilé et nuageux.
Vive et alerte, ma voisine vint frapper à ma porte, les bras chargés de livres.
Vaguement réveillée, je lui proposai une tasse de thé et nous échangeâmes sur nos récits tristes, angoissants ou merveilleux.
Vérification faite par toutes les deux, rien ne vaut une bonne lecture nocturne.
Françoise
VERS LE BONHEUR
Des petits points
Des lignes courbes
Des creux
Graver ce que l’on ne voit pas dans le silence de ce que l’on n’entend plus.
Une brindille d’ombre
Un fagot de neige
Une brassée d’eau
Un faisceau de cendre
Aligner des petits points
Accompagner le tout d’un bruissement d’été au coin d’un feu
Inviter la suite n°3 pour violoncelle de Bach
Pincer les lèvres
Retrousser le nez
Cambrer les oreilles
Tracer des lignes courbes
Sur la plaque de zinc enduit de vernis
Inspirer l’incertitude
Refuser les peurs
Grappiller les lumières
Graver des creux
La matrice s’élabore
Cherche sa route
Exige l’encrage
…
Néelie
LE TEMPS
Le temps s’est arrêté !
Pas le temps de sentir en soi un peu plus chaque jour les signes qu’il ne s’arrête pas tant que cela, ni le temps immuable qui, comme une offrande, laisse les fleurs des cerisiers s’ouvrir puis leurs pétales se détacher un à un des corolles.
Pas ce temps là non, celui là est précieux.
Le temps s’est arrêté comme le marcheur s’arrête pour contempler et s’imprégner de l’usure des montagnes. Comme lorsqu’il cesse cette marche en avant dont le but était devenu subrepticement et inexorablement de seulement avancer.
Je suis un marcheur dérouté et heureux de l’être. Heureux de me nourrir de mes pensées et de celles des autres, heureux de réfléchir à ce que j’absorbe et de comprendre pourquoi je le fais.
C’est comme si chaque petite joie m’indiquait, discrète, câline et faite de tendresse muette, qu’elle peut être grande si je la regarde, si je comprends qu’elle est une étoile trop éloignée pour ne pas sembler timide, mais que si je m’approche suffisamment je m’apercevrai qu’elle flamboie jusqu’en moi.